Décarbonation : un cap essentiel pour le climat et la compétitivité
Alors que les effets du changement climatique s’intensifient partout dans le monde, la décarbonation s’impose comme un impératif pour tous les secteurs d’activité. Réduire les émissions de gaz à effet de serre, repenser notre dépendance aux énergies fossiles et transformer nos modèles économiques : tel est le triple défi auquel répond la stratégie de décarbonation. Au-delà de l’enjeu environnemental, il s’agit aussi d’une opportunité de modernisation, d’innovation et de création de valeur.
Qu'est-ce que la décarbonation ?
La décarbonation désigne l’ensemble des stratégies et actions visant à réduire les émissions de gaz à effet de serre (GES), en particulier le dioxyde de carbone (CO₂), principal responsable du réchauffement climatique. L’objectif est clair : sortir progressivement de la dépendance aux énergies fossiles (charbon, pétrole, gaz naturel), grandes pourvoyeuses d’émissions, et les remplacer par des sources d’énergie plus durables.
Cette transition repose sur le développement massif :
Des énergies renouvelables (solaire, éolien, biomasse),
Des sources non carbonées (nucléaire, hydroélectricité, géothermie),
Et des technologies sobres en carbone, telles que les pompes à chaleur, l’hydrogène vert ou encore la capture et le stockage du carbone (CCS).
Mais la décarbonation ne concerne pas uniquement la production d’énergie. Elle s’applique à tous les secteurs :
Industrie : décarboner les procédés de fabrication (ciment, acier, chimie), réduire le carbone incorporé, favoriser les matières recyclées. À titre d'exemple, ArcelorMittal a engagé une transition vers l’acier vert dans plusieurs de ses usines européennes en remplaçant les hauts fourneaux par des fours électriques alimentés en énergie renouvelable.
Transport : électrification des véhicules, développement du rail, mobilité douce et partagée. Le développement des véhicules à hydrogène pour le transport lourd ou des bus électriques dans certaines villes marocaines en est une illustration.
Bâtiment : rénovation énergétique, conception bioclimatique, usage de matériaux biosourcés. Le programme de rénovation des logements sociaux en Europe a démontré des réductions d’émissions significatives et un meilleur confort thermique pour les habitants.
Agriculture : réduction des intrants chimiques, valorisation des sols comme puits de carbone, circuits courts. L’agroécologie ou l’agriculture de conservation sont des leviers concrets de décarbonation dans les territoires ruraux.
La décarbonation engage donc une transformation systémique, à la fois technique, économique et culturelle. Elle n’implique pas seulement des substitutions technologiques, mais aussi des changements de comportement, de gouvernance et de modèle de développement. Elle suppose alors de repenser l’aménagement du territoire, les infrastructures publiques, les systèmes de financement et les filières industrielles. La décarbonation mobilise l’ensemble des acteurs : États, collectivités, entreprises, citoyens.
Stratégie de décarbonation, pourquoi ça urge ?
L’urgence de décarboner les économies s’impose pour trois grandes raisons :
1 • L’urgence climatique
Les effets du changement climatique sont déjà visibles :
Augmentation moyenne des températures globales,
Fonte des glaciers et recul des neiges éternelles,
Multiplication des vagues de chaleur, des incendies de forêt et des phénomènes extrêmes,
Montée du niveau des mers menaçant les zones côtières.
Limiter le réchauffement à +1,5 °C exige une réduction drastique des émissions mondiales d’ici 2030. La décarbonation est l’outil principal pour y parvenir, en agissant directement sur les sources d’émissions et en réduisant la pression sur les écosystèmes. Le dernier rapport du GIEC insiste sur la nécessité de réduire les émissions globales de 43 % d’ici à 2030 par rapport au niveau de 2019, pour maintenir une trajectoire compatible avec les objectifs de l’Accord de Paris.
2 • Une pression réglementaire croissante
Partout dans le monde, les politiques climatiques se durcissent. Les normes environnementales, les obligations de reporting ESG, les mécanismes d’ajustement carbone aux frontières (comme le CBAM européen) et les dispositifs fiscaux se multiplient. La neutralité carbone devient un nouveau standard économique et juridique.
Au Maroc, par exemple, la taxe carbone entrera en vigueur en janvier 2026. Elle visera à encourager les entreprises à réduire leur empreinte carbone sous peine de voir leurs produits écopénalisés, notamment à l’exportation vers des marchés exigeants comme l’Union européenne. Elle s’inscrit dans une dynamique internationale croissante d’internalisation des coûts environnementaux. De plus, les incitations financières pour les entreprises vertueuses, comme les prêts verts ou les subventions à l’innovation bas carbone, se développent rapidement.
3 • Un enjeu de compétitivité et de maîtrise des coûts
Décarboner, c’est aussi optimiser. Améliorer son efficacité énergétique, limiter les déchets, rationaliser les flux logistiques ou réduire les coûts de production : autant de gains de performance et de résilience économique. Dans un contexte où les prix de l’énergie ne peuvent rester stable, la décarbonation renforce aussi l’indépendance énergétique des entreprises et des territoires.
Une stratégie de décarbonation permet ainsi de concilier durabilité environnementale et rentabilité économique, en alignant les objectifs climatiques avec les intérêts économiques de long terme. Selon l’Agence internationale de l’énergie, chaque dollar investi dans l’efficacité énergétique peut générer jusqu’à deux dollars d’économies cumulées à long terme.
Un enjeu mondial
Malgré l’urgence et les engagements pris, les émissions de CO₂ continuent d’augmenter. Selon les estimations de 2024, 37,4 milliards de tonnes de CO₂ ont été émises dans le monde, soit une hausse de 0,8 % par rapport à 2023.
Cette tendance montre à quel point la transition reste fragile, freinée par :
Une dépendance persistante au charbon dans certaines régions,
Une reprise post-COVID fortement carbonée,
Des investissements insuffisants dans les infrastructures vertes,
Et un manque de solidarité Nord-Sud pour financer une transition juste.
Certes, plusieurs économies avancées amorcent une baisse de leurs émissions. Mais ces progrès restent partiels, et souvent compensés par la hausse des émissions dans les pays émergents où la demande en énergie reste croissante. Cela illustre l’importance d’une décarbonation à l’échelle planétaire, qui articule équité, transfert de technologies et financements adaptés.
La Coalition for Urban Transitions souligne, dans une publication de 2021, que l’urbanisation offre une opportunité majeure pour accélérer la décarbonation post-COVID. Dans six grandes économies émergentes (Chine, Inde, Indonésie, Brésil, Mexique, Afrique du Sud), des mesures déjà disponibles pourraient réduire les émissions urbaines de 87 à 96 % d’ici 2050, bien au-delà des engagements actuels. Pour y parvenir, les villes doivent être pleinement soutenues par les gouvernements nationaux et activer six leviers stratégiques essentiels.
Stratégie Bas Carbone à Long Terme Maroc 2050, Royaume du Maroc, Ministère de la Transition Énergétique et du Développement Durable
Le rapport Net Zero by 2050 de l’AIE souligne que pour respecter les objectifs climatiques mondiaux, les investissements dans les énergies propres doivent tripler d’ici à 2030. L’atteinte de la neutralité carbone mondiale ne pourra se faire sans une coopération renforcée entre les États, les entreprises multinationales, les institutions financières et la société civile. C’est à cette échelle que la transition peut réellement s’accélérer.
Où en est le Maroc dans sa stratégie de décarbonation ?
Le Maroc s’est doté d’une Stratégie Bas Carbone à l’horizon 2050, qui place la décarbonation au cœur de son développement économique durable. Cette stratégie s’articule autour de plusieurs axes clés :
Accélérer le développement des énergies renouvelables pour atteindre 80 % d’électricité décarbonée d’ici 2050. Le Royaume investit massivement dans le solaire (notamment le complexe Noor), l’éolien, les interconnexions électriques et le stockage.
Augmenter l’utilisation de l’électricité verte dans l’industrie, le bâtiment et les transports, grâce à l’électrification des usages, à la mobilité électrique, aux incitations fiscales et à des partenariats public-privé pour accompagner la transition énergétique des secteurs à forte intensité carbone.
Généraliser l’efficacité énergétique, notamment par la rénovation thermique des bâtiments, l’équipement en appareils sobres, l’amélioration des procédés industriels, et la formation des professionnels aux métiers de l’énergie et de la durabilité. En 2022, plus de 500 projets de formation continue ont été lancés dans le cadre du Plan national d’efficacité énergétique.
Encourager l’économie circulaire, avec une meilleure valorisation des déchets, la promotion de la durabilité des produits, l’allongement de la durée de vie des équipements et le soutien aux circuits courts, notamment dans l’agroalimentaire et le textile. La feuille de route nationale pour l’économie circulaire fixe des objectifs ambitieux de réduction des déchets à horizon 2030.
Ambition du Maroc de demain à l’horizon 2035
Modèle de l’approche 3R : Réduire-Réutiliser, Recycler
Source : Stratégie Bas Carbone à Long Terme Maroc 2050, Royaume du Maroc Ministère de la Transition Énergétique et du Développement Durable
Le Royaume affiche une volonté claire de s’aligner sur les trajectoires climatiques mondiales, tout en adaptant sa stratégie aux spécificités de son tissu économique, de ses ressources naturelles et de ses besoins sociaux. Il fait partie des pays pionniers en Afrique en matière d’ambition climatique, et son expérience pourrait inspirer d’autres trajectoires régionales.
La décarbonation représente un levier indispensable pour relever le défi climatique, respecter les engagements internationaux, préparer les entreprises aux exigences réglementaires et renforcer leur compétitivité.
Elle repose sur un principe de cohésion en trois actions : réduire les émissions à la source, remplacer les énergies fossiles par des alternatives durables, et transformer les modèles de production et de consommation.